Retour du Parti libéral-conservateur?
Justin Trudeau pourrait avoir plus à craindre d'un nouveau parti centriste que Pierre Poilievre
Vous avez probablement déjà entendu parler de Centre Ice Canadians, ou Force Au Centre. Le groupe a été cofondé il y a plus d'un an par l'ancien candidat à la direction du parti conservateur Rick Peterson. Il a fait ses débuts sous le nom de Centre Ice Conservatives, durant le processus de leadership conservateur, en tenant une conférence sur les politiques à Edmonton, suivie d'événements similaires à Halifax et à Toronto. Force Au Centre a aussi publié de nombreux éditoriaux et a fait en sorte que le Régime de pensions du Canada désinvestisse des fonds profitant du travail des esclaves en Chine. Il s'est positionné comme un refuge pour les sans-abri politiques, principalement les conservateurs rouges et les libéraux bleus, qui estimaient qu'aucun de leurs partis n'étaient à l’écoute de leurs idées.
La semaine dernière, Force Au Centre a annoncé qu'il explorerait la possibilité de s'enregistrer comme parti politique. L’organisme l'a fait à la suite d'un sondage d'opinion externe auprès de 2000 Canadiens – qui a révélé que 32% des personnes interrogées envisageraient probablement de voter pour un parti centriste lors des prochaines élections – et d'un appel à ses quelque 2000 partisans – dont la plupart des répondants ont approuvé l’éventuelle formation d’un tel parti.
Un groupe de travail dirigé par Peterson et le député du Nouveau-Brunswick Dominic Cardy étudie actuellement l'idée, y compris un projet de constitution, une collecte de fonds et un nouveau nom. Ils se donnent jusqu'au 20 septembre, date à laquelle Force Au Centre décidera officiellement si elle s'engage dans cette voie. Des observateurs affirment qu'un tel parti pourrait «perturber la scène politique», évoquant des souvenirs du Parti réformiste qui a fait la même chose il y a trente ans.
Que tout cela se produise reste à voir. Force Au Centre a été créé tel un espace accueillant pour discuter de politiques publiques et pour encourager les deux principaux partis à modérer leurs points de vue et leurs prises de position parfois virulentes. En tant que personne impliquée dans l'organisation, qui comprend Rick Anderson, Laurie Hawn, Peter Kent et Marjory Lebreton, c'est ce que j'espérais arriver.
Cependant, j'avais également prédit la montée d’un nouveau parti comme résultat potentiel de la course à la direction des conservateurs, dans la conclusion de mon livre The Right Path, publié l’année dernière :
«La politique canadienne pourrait boucler la boucle et revenir au parti qui a fondé le pays: le Parti libéral-conservateur… Ce dernier ne serait ni étatiste ni populiste. Il chevaucherait la ligne du centre droit et ferait appel à l'électeur canadien du gros bon sens. Il fournirait un refuge aux mécontents libéraux bleus et conservateurs rouges...
Un tel parti pourrait être formé de deux façons: le Parti conservateur élit un chef de centre droit qui construit le parti à cette image. Ou si un tel chef ne l'emporte pas, un nouveau parti est créé, avec un nouveau nom et une nouvelle marque de commerce à déterminer.»
Pour ceux et celles du Parti conservateur qui sont mécontents du fait que Force Au Centre débatte de cette option, cela aurait probablement pu être évité par quelques perches tendues dans les mois qui ont suivi le vote à la direction. Ces appels n'ont jamais été faits cependant et il est devenu manifestement clair pour beaucoup de gens qu'ils n'étaient pas bienvenus dans l’entreprise.
Pour paraphraser le vieil adage, l'enfer ne connaît aucune fureur aussi intense que celle de militants méprisés. Extrapolez cela à 16% des membres du parti, et vous avez un village complet à la recherche d’un nouveau terrain.
Il y a un autre dicton que la direction semble avoir oublié: « Gardez vos amis près de vous et vos ennemis encore plus près ». Les leaders neutralisaient traditionnellement leurs adversaires en les occupant et en leur donnant des raisons d'être loyaux. Le premier ministre Brian Mulroney a fait une place à son ancien rival Joe Clark; Stephen Harper a nommé Peter MacKay au Cabinet. Dans le camp libéral, Jean Chrétien a placé Paul Martin à la tête du portefeuille des Finances; Trudeau a donné les Transports puis aux les Affaires étrangères à Marc Garneau.
Cela ne s'est pas produit dans le climat actuel de terre brûlée. Animés par Twitter, où nous avons tous dit des choses que nous regrettons, cela a plutôt produit un test de pureté toxique qui excommunie quiconque conteste la ligne du parti ou critique le chef. Seuls les plus dignes sont admis dans le groupe.
Cette dynamique s'applique également aux libéraux, qui tracent des lignes dans le sable pour leurs fidèles sur toutes sortes de questions; de l'avortement au contrôle des armes à feu en passant par la réglementation d'Internet. C'est pourquoi le mouvement Force Au Centre ne concerne pas seulement les conservateurs. Beaucoup de personnes qui s'inscrivent sur le site Web de l'organisation ne sont membres d'aucun parti, mais elles aimeraient l'être. Et elles n'aiment pas le climat de peur qui règne dans l'un ou l'autre des principaux partis.
Elles veulent pouvoir être en mesure d’exprimer une opinion sans se faire troller. Elles veulent un endroit où la discussion de groupe l’emporte sur la pensée de groupe. À savoir si un tel parti peut exister dans l’arène politique d'aujourd'hui ou s'il pourrait faire des gains lors d'une élection demeure une question ouverte.
Ce qui ne l'est pas par contre, c'est le fait que les deux principaux partis fédéraux se sont polarisés à leurs extrémités respectives du spectre politique: le wokisme et le populisme. Cela est plus inhabituel pour les libéraux que pour les conservateurs. Les libéraux étaient traditionnellement le parti du centre, décrit comme le « milieu pâteux » pour sa capacité à se transformer en tout ce que les électeurs voulaient à un moment donné, prêts à confondre leur marque avec l’image du Canada (tolérant, multiculturel, bilingue) d'une manière que les conservateurs n'ont pas réussi à faire.
Mais l'alliance des libéraux avec le NPD, qui dure maintenant depuis deux ans, les a poussés plus à gauche et a consterné nombre de leurs partisans. C'est pourquoi un nouveau parti Force Au Centre pourrait représenter plus un danger électoral pour les libéraux que pour les conservateurs.
Un sondage de Force Au Centre a révélé que 25% des Canadiens s'identifient comme étant de centre-gauche, 29% de pur centre, et 16% de centre-droit. Ce sont de plus les personnes de centre-gauche qui souhaitent le plus la création d’un nouveau véhicule pour leurs convictions, la probabilité nette de voter pour un parti centriste étant plus élevée chez les électeurs libéraux actuels que chez les conservateurs. L'appui est le plus élevé en Alberta, en Colombie-Britannique, dans les provinces de l'Atlantique et au Québec.
Tout cela signifie que Trudeau pourrait avoir plus à craindre d'un nouveau parti centriste que Poilievre. Les libéraux obtiennent 28% de soutien dans le dernier tracker Nanos – s'ils perdent le soutien à un nouveau parti, cela pourrait diviser le vote de centre-gauche et permettre aux conservateurs – à 35% – de faire des gains lors des prochaines élections.
Une chose est sûre: les électeurs sont agités. Ils veulent du changement mais ne sont pas sûrs de pouvoir obtenir le changement qu'ils souhaitent. Cela dépendra d'eux et des choix qu'ils décident de faire. Conclusion: si les deux principaux partis ne veulent pas plus de concurrence, ils devraient ouvrir les volets de la tente et laisser place à plus de perspectives. Peut-être que la menace d'un autre parti les incitera finalement à le faire.