L’immigration, la langue française et le Québec
Les vieux débats prennent une nouvelle vie, mais ratent la vue d’ensemble
« Le Québec pris au piège. Le français forcé au déclin. Son influence politique condamnée. 12 millions d’habitants à Montréal. Québec avec 5 millions de population. Le grand plan d’Ottawa expliqué. Justin est plus malin qu’on ne le croit. On veut nous assimiler. Tout ça, sans aucun débat. Deux scénarios catastrophes. »
Oubliez le couronnement du roi Charles III ou le congrès du Parti libéral. Si vous vous êtes réveillé samedi matin au Québec, voici la première page apocalyptique qui s’est affichée sur votre navigateur, gracieuseté du Journal de Montréal :
Le cri du cœur du Journal était en réponse à l’augmentation du niveau d’immigration annuel du gouvernement fédéral à 500 000 personnes. Cette augmentation, destinée à porter la population du Canada à 100 millions d’habitants d’ici la fin du siècle, marginaliserait l’influence du Québec au sein du Canada. On estime que la part globale du Québec dans la population canadienne passerait de 25 à 10 %, tandis que les Québécois francophones seraient minoritaires dans leur propre province pour la première fois en 500 ans.
Cela déplacerait le Québec du centre du pouvoir au Canada. Sa langue officielle, le français, serait reléguée au même rang que toutes les langues et cultures autres que l’anglais. Au lieu d’être l’une des deux langues officielles du Canada, le français n’en serait qu’une parmi tant d’autres, et le Québec, non plus une nation, mais une province comme les autres.
Mais attendez: les auteurs du Journal suggèrent en outre que c’était le grand plan des premiers ministres Justin et Pierre Elliott Trudeau depuis le début. Dans une chronique très colorée, « Comment les Trudeau ont noyé le Québec », le chroniqueur Richard Martineau compare même le premier ministre actuel au protagoniste d’un tristement célèbre roman de Stephen King :
« Pour Justin, le Canada n’est pas un pays.
C’est un hôtel, un Airbnb.
Et le Québec n’est qu’une des nombreuses chambres de ce vaste complexe immobilier.
La chambre 237, tiens. Comme celle du film The Shining.
Venez, déposez vos valises et installez-vous! Tout ce qu’on vous demande, c’est de payer vos impôts. »
Il est vrai que Trudeau père a ouvert la voie à la réduction du pouvoir du Québec au sein du Canada, mais cela n’a pas commencé avec sa Charte des droits de 1981, comme le prétend le Journal. Cela a en fait commencé une décennie plus tôt, en 1971, avec la création de la Politique officielle du multiculturalisme du Canada. La politique a consacré l’idée que les minorités linguistiques et culturelles du Canada devraient être encouragées à préserver leur patrimoine et a alloué des fonds fédéraux pour les aider à le faire.
Le multiculturalisme officiel était à la fois une véritable mine de votes pour les libéraux et un moyen de diffuser le paradigme anglais-français des « deux solitudes » qui menaçait de déchirer le pays. À l’époque, le Canada venait de vivre la crise d’octobre 1970, qui avait vu Trudeau invoquer la Loi sur les mesures de guerre en réponse aux actes terroristes du Front de libération du Québec. Le multiculturalisme officiel était perçu comme un moyen de faire avancer la cause fédéraliste en alignant les intérêts des minorités linguistiques et culturelles du Québec avec ceux du gouvernement fédéral.
L’impact le plus important, cependant, a été d’enchâsser le multiculturalisme à l’extérieur du Québec, où la plupart des minorités se sont installées et où la faveur des différentes communautés culturelles est devenue la norme de fonctionnement, en particulier pour le Parti libéral fédéral. L’immigration devient ainsi un enjeu politiquement intouchable, sauf au Québec, où la protection de la langue française continue de primer sur les préoccupations relatives aux droits des minorités.
Dans une entrevue avec la personnalité médiatique Mario Dumont, ancien chef de l’Action démocratique du Québec, l’analyste politique de TVA, Emmanuelle Latraverse, a résumé ainsi la position québécoise :
« L’endroit au Canada où [un haut niveau d’immigration] fait le plus parler, c’est au Québec, à cause des inquiétudes que cela soulève autour de la protection du français, mais… ce n’est pas seulement la question du français. Les niveaux d’immigration ont un impact sur le logement, sur l’éducation, sur l’accès aux services sociaux, sur le tissu social, et il est sain d’avoir ces discussions. Le problème que le Québec est le seul à s’en préoccuper, et que dans le reste du pays, pour des raisons strictement électorales, c’est un gros tabou. »
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